Les 20 entreprises qui se cachent derrière le 1/3 des émissions de CO2

Cloé a traduit pour nous l'article publié dans "The Guardian"

Cela fait déjà un moment que l’on sait que la responsabilité individuelle c’est un bon début, mais que trier ses déchets et faire ses courses en vrac ne mettra pas fin aux pratiques inacceptables des multinationales et ne permettra pas de réduire drastiquement les émissions de CO2 de manière à rester sous la barre des 1.5 degrés.

En effet, à titre d’exemple : les grandes banques suisses émettent le double de CO2 que ce que la Suisse émet en une année et environ 50% des émissions mondiales sont imputables aux 10% des habitant.e.s de la planète les plus riches.

Dernière nouvelle en date à ce propos, le très bon et engagé magazine « The Guardian » a sorti une enquête révélant les 20 entreprises qui émettent le 1/3 des émissions mondiales, dont je vous propose ici une traduction :

[Traduction de l’article]

Le Guardian révèle aujourd’hui les 20 entreprises de combustibles fossiles dont l’exploitation incessante des réserves mondiales de pétrole, de gaz et de charbon peut être directement liée à plus d’un tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre de notre ère.

De nouvelles données provenant de chercheurs de renommée mondiale révèlent comment cette cohorte d’entreprises publiques et multinationales sont à l’origine de l’urgence climatique qui menace l’avenir de l’humanité, et expliquent comment elles ont continué à étendre leurs activités tout en étant conscientes de l’impact dévastateur de leur industrie sur la planète.

L’analyse, effectuée par Richard Heede du Climate Accountability Institute aux États-Unis – la principale autorité mondiale sur le rôle du pétrole dans l’escalade de l’urgence climatique – évalue ce que les entreprises mondiales ont extrait du sol, ainsi que les émissions subséquentes dont sont responsables ces combustibles fossiles depuis 1965, soit le moment où les experts considèrent que l’impact environnemental des combustibles fossiles était connu tant des dirigeants de l’industrie que des politicien.ne.s.

Les 20 premières entreprises de la liste ont contribué à 35 % de l’ensemble des émissions mondiales de dioxyde de carbone et de méthane liées à l’énergie, soit 480 milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone au total depuis 1965.

Les entreprises identifiées vont des entreprises appartenant à des investisseurs – des noms connus tels que Chevron, Exxon, BP et Shell – à des entreprises étatiques, dont Saudi Aramco et Gazprom.

Chevron était en tête de liste des huit sociétés détenues par des investisseurs, suivie de près par Exxon, BP et Shell. Ensemble, ces quatre entreprises mondiales sont responsables de plus de 10 % des émissions mondiales de carbone depuis 1965.

Douze des 20 premières entreprises sont des entreprises étatiques et, ensemble, leurs extractions sont responsables de 20 % des émissions totales au cours de la même période. Le premier pollueur public est Saudi Aramco, qui a produit à lui seul 4,38 % du total mondial.

Michael Mann, l’un des plus éminents climatologues du monde, a déclaré que les résultats de cette étude ont mis en lumière le rôle des entreprises actives dans l’extraction des énergies fossiles et a appelé les politicien.ne.s à prendre d’urgence des mesures pour maîtriser leurs activités lors des prochaines négociations sur le climat au Chili en décembre

« La grande tragédie de la crise climatique est que sept milliards et demi de personnes doivent payer le prix – sous la forme d’une planète dégradée – pour que quelques entreprises défendant des intérêts polluants puissent continuer à faire des profits records. C’est un grand échec de notre système politique que le fait d’avoir permis qu’une telle chose se produise. »

La liste mondiale des pollueurs utilise la production annuelle de pétrole, de gaz naturel et de charbon déclarée par les entreprises, puis calcule la quantité de carbone et de méthane contenue dans les combustibles produits qui est rejetée dans l’atmosphère tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de l’extraction à l’utilisation finale.

Elle a constaté que 90 % des émissions attribuées aux 20 principaux coupables provenaient de l’utilisation de leurs produits, comme l’essence, le kérosène, le gaz naturel et le charbon thermique. Un dixième provient de l’extraction, du raffinage et de la livraison des combustibles finis.

Le Guardian s’est adressé aux 20 entreprises figurant sur la liste des pollueurs. Huit d’entre elles ont répondu. Certaines ont fait valoir qu’elles n’étaient pas directement responsables de la façon dont le pétrole, le gaz ou le charbon qu’elles extrayaient étaient utilisés par les consommateur.trice.s. Plusieurs ont contesté les affirmations selon lesquelles l’impact environnemental des combustibles fossiles était connu dès la fin des années 1950 ou que l’industrie avait travaillé collectivement pour retarder l’action.

La plupart d’entre elles ont explicitement déclaré qu’elles acceptaient la science climatique et certaines ont affirmé soutenir les objectifs fixés dans l’accord de Paris pour réduire les émissions et maintenir la température mondiale à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels.

Toutes ont souligné les efforts qu’elles faisaient pour investir dans des sources d’énergie renouvelables ou à faible émission de carbone et ont déclaré que les entreprises de combustibles fossiles avaient un rôle important à jouer dans la lutte contre la crise climatique. PetroChina a déclaré qu’elle était une société distincte de son prédécesseur, China National Petroleum, et qu’elle n’avait donc aucune influence sur ses émissions historiques, ni aucune responsabilité à cet égard. Les réponses des entreprises peuvent être lues dans leur intégralité ici.

La dernière étude s’appuie sur les travaux antérieurs de M. Heede et de son équipe qui ont examiné le rôle historique des entreprises de combustibles fossiles dans l’escalade de la crise climatique.

L’impact des émissions de charbon, de pétrole et de gaz produites par les entreprises de combustibles fossiles a été énorme. Selon une étude publiée en 2017 par Peter Frumhoff de l’Union of Concerned Scientists aux États-Unis et ses collègues, les émissions de CO2 et de méthane des 90 plus grands producteurs industriels de carbone sont responsables de près de la moitié de l’augmentation de la température mondiale et de près d’un tiers de la hausse du niveau de la mer entre 1880 et 2010. Les scientifiques ont déclaré que ces travaux favorisaient « la prise en compte des responsabilités historiques [des entreprises] en matière de changement climatique ».

Heede a déclaré :

« Ces entreprises et leurs produits sont en grande partie responsables de l’urgence climatique, ont collectivement retardé l’action nationale et mondiale pendant des décennies et ne peuvent plus se cacher derrière l’écran de fumée que les consommateurs sont les responsables. Les dirigeants des secteurs du pétrole, du gaz et du charbon font dérailler les progrès et n’offrent aucune amélioration alors que leur vaste capital, leur expertise technique et leur obligation morale devraient plutôt permettre d’engager une transition vers un avenir faible en carbone ».

 

Heede a indiqué que 1965 a été choisi comme point de départ pour ces nouvelles données car des recherches récentes avaient révélé qu’à ce stade, l’impact environnemental des combustibles fossiles était connu des dirigeants de l’industrie et des politiciens, en particulier aux États-Unis.

En novembre 1965, le président, Lyndon Johnson, a publié un rapport rédigé par le Groupe d’experts sur la pollution de l’environnement du Comité consultatif scientifique du président, dans lequel il exposait l’impact probable de la production continue de combustibles fossiles sur le réchauffement mondial.

La même année, le président de l’American Petroleum Institute a déclaré à son assemblée annuelle : « L’une des prévisions les plus importantes du [rapport du président] est que le dioxyde de carbone est émis dans l’atmosphère terrestre par la combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel à un tel rythme que d’ici l’an 2000, le bilan thermique sera modifié au point de provoquer des changements climatiques marqués au-delà des efforts locaux ou même nationaux. »

Heede a ajouté :

« Depuis la fin des années 1950, les grandes entreprises et les associations industrielles étaient conscientes et/ou délibérément mises de côté de la menace que représente l’utilisation continue de leurs produits pour le changement climatique».

La recherche vise à demander des comptes aux entreprises les plus responsables des émissions de carbone et à détourner le débat public et politique de l’accent mis uniquement sur la responsabilité individuelle. Il fait suite à un avertissement de l’ONU datant de 2018 selon lequel le monde n’a que 12 ans pour éviter les pires conséquences d’un réchauffement mondial galopant et limiter la hausse des températures à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels.

L’étude montre que bon nombre des pires contrevenants sont des sociétés appartenant à des investisseurs dont les noms sont connus dans le monde entier et qui dépensent des milliards de livres pour faire pression sur les gouvernements et se présenter comme écologiquement responsables.

Une étude réalisée plus tôt cette année a révélé que les cinq plus grandes sociétés pétrolières et gazières cotées en bourse dépensent près de 200 millions de dollars chaque année en lobbying pour retarder, contrôler ou bloquer les politiques de lutte contre le changement climatique.

Heede a déclaré que:

«[les entreprises] avaient une importante responsabilité morale, financière et juridique dans la crise climatique, et un fardeau proportionnel pour aider à résoudre le problème».

Et d’ajouter :

« Bien que les consommateurs du monde entier, des particuliers aux entreprises, soient les principaux émetteurs de dioxyde de carbone, le Climate Accountability Institute concentre ses travaux sur les entreprises de combustibles fossiles qui, à notre avis, ont collectivement la main sur l’accélérateur du taux des émissions de carbone et le passage aux combustibles non carboné ».

[Fin de la traduction]

Bref, pendant que certain.e.s politicien.ne.s misent tout sur la responsabilité individuelle et estiment que chacun.e doit et peut faire des efforts afin d’emprunter un mode de vie plus durable, des multinationales et grandes entreprises étatiques spécialisées dans le domaine des énergies fossiles se paient le droit de polluer en toute tranquillité et inondent le marché d’énergie fossiles et autres produits dérivés que les consommateur.trice.s consomment après avoir souvent été harangués par de la publicité qui fleurit bientôt à tous les coins de rue et sur tous nos écrans…

Les mesures doivent absolument être prises en amont, directement auprès des entreprises concernées et non pas uniquement auprès des consommateur.trice.s. L’urgence est bien présente et un revirement dans la manière d’aborder la problématique doit nécessairement être pris, ce qui nécessite bien entendu de passer au-dessus des intérêts économiques et privés qui sont encore malheureusement omniprésents dans une partie de la sphère politique.

Cloé Dutoit

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