Le grand chelem climaticide de Federer
Énergies fossiles, surconsommation, huile de palme...
Considéré comme un « Dieu » vivant par beaucoup, Roger Federer est également le roi du sponsoring juteux. Selon le média américain Forbes, le wonder-tennisman règne au sommet de la liste des athlètes qui gagnent le plus grâce au marketing des marques et ce, depuis 2015.
En matière de partenariats rémunérés, Federer a plus d’une corde à sa raquette: Master of pasta pour Barilla, égérie pour Nike puis pour Uniclo, ambassadeur pour Lindt , Rolex, Mercedes-Benz ou encore Credit Suisse, le joueur suisse excelle aussi bien sur le terrain que dans la monétisation de son image, la plus rentable qui soit dans le monde du sport.
Rentable? Pour ses sponsors d’abord, qui voient leurs ventes décoller dès que Roger s’affichent à leurs côtés, et pour le joueur lui-même ensuite, qui, toujours d’après Forbes, a engrangé 403 millions de dollars entre 2012 et 2018, uniquement grâce à ses contrats publicitaires. Mieux qu’un Lebron James (340 millions) et près du double d’un Critiano Ronaldo (212 millions) sur la même période.
Rodger-washing
Avec son palmarès, sa bouille sympathique, son humilité et sa discrétion, mais également son engagement humanitaire et sa famille parfaite, il a tout pour plaire! Et ça, les grandes entreprises l’ont bien compris, notamment celles qui ont des choses à se reprocher et… les moyens de se payer un « Rodger-washing » qui lave plus blanc que blanc! S’offrir Roger comme publicité, c’est profiter de son aura solaire, et c’est aussi parfois éblouir les consommateurs pour qu’ils ne voient pas les saletés qu’on fait par derrière.
S’il y a bien une chose qu’on peut reprocher au joueur, c’est de ne pas être très regardant lorsqu’il signe avec des grandes marques. Voyez-plutôt:
Credit Suisse
Roger Federer est ambassadeur pour Credit Suisse depuis 2009 et se prête régulièrement au jeu des confessions intimes dans de courtes vidéos.
Où est le problème? La banque, qui exploite volontiers les valeurs familiales du joueur, est également l’un des deux établissements bancaires suisses à avoir le plus investi dans les énergies fossiles depuis l’accord de Paris sur le climat en 2015. Entre 2016 et 2018 Credit Suisse a financé des entreprises pétrolières à hauteur de 57 MILLIARDS de dollars, soit plus du double de l’investissement de l’UBS (26 milliards de dollars).
En 2018 et 2019, le collectif Breakfree suisse a demandé au tennisman de « devenir un Champion du Climat en invitant son sponsor Credit Suisse à désinvestir ses milliards des produits climaticides et responsables de désastres sociaux! ». Le sportif n’a donné aucune réponse à ces sollicitations.
UNIQLO
2018: Federer plaque l’américain Nike pour l’équipementier japonais UNIQLO. Le joueur met ainsi un point final à la relation qu’il entretenait avec la « virgule » depuis 1994 et qui lui rapportait 7,5 millions de dollars par an. Et il faut dire qu’UNIQLO y a mis les formes! Le contrat se monterait à 300 millions de dollars sur dix ans, de quoi se mettre bien-bien-bien.
Où est le problème? UNIQLO fait partie des principales enseignes à l’origine d’une faillite en Indonésie datant de 2015. Selon l‘ONG Public Eye, la marque de vêtements refuse de payer son dû aux 2000 ouvriers et ouvrières (80% de femmes) de l’usine indonésienne qui attendent au total 5,5 millions de dollars de salaires impayés et d’indemnités de licenciement.
En matière de violation de droits du travail, UNIQLO n’en est pas à son coup d’essai. la même année, War on Want et l’association Hong-kongaise SACOM dénonçaient des heures supplémentaires excessives, des salaires minuscules, des conditions de travail dangereuses et une gestion oppressive dans les usines des fournisseurs d’UNIQLO en Chine.
En 2011, le journaliste japonais Masuo Yokota publiait « The Glory and Disgrace of the Uniqlo Empire. », un livre qui dénonçait un traitement presque semblable à l’esclavage des ouvriers d’UNIQLO en Chine et des employés de magasins au Japon. Uniqlo a intenté une action en diffamation, mais a perdu l’affaire et l’appel.
En 2017, au Vietnam, des centaines de villageois de Hai Duong ont bloqué l’usine Pacific Crystal Textiles, principalement au service d’UNIQLO, cherchant à fermer définitivement l’usine en raison de graves problèmes de pollution. Selon les analyses, l’eau rejetée par l’usine dépassait les limites fixées pour l’équilibre acidité-alcalinité, les pigments, le total des solides en suspension, la demande chimique et biochimique en oxygène.
Rappelons encore que, avec des Zara, H&M ou encore Primark, UNIQLO fait partie des mastodontes du textile, la deuxième industrie la plus polluante au monde, juste derrière celle du pétrole.
Lindt
Depuis 2009 également, le joueur est égérie du fabricant de chocolat suisse Lindt et prête notamment son image pour les fameuses boules Lindor, championnes des emballages plastiques inutiles. Éthiquement et environnementalement parlant, Lindt n’est pas la pire des marques de chocolat, mais elle n’est pas toute rose pour autant, bien au contraire.
Où est le problème? Hormis la quantité astronomique des déchets et l’utilisation massive d’huile de palme (Lindt dit utiliser de l’huile de palme « durable », mais on sait désormais que le label RSPO ne tient pas ses engagements), comme Ferrero, Mars, Nestlé ou encore M&M’s, le chocolatier suisse a longtemps fait partie de la liste des entreprises soupçonnées de se fournir en cacao illégal, cultivé sur des aires théoriquement protégées. Dans des rapports publiés en 2017 et 2018, l’ONG environnementale Mighty Earth, accusait Lindt de contribuer activement à la déforestation en Afrique de l’Ouest. Depuis quelques semaines, Lindt s’est enfin engagée aux côtés de The Cocoa & Forests Initiative pour établir un « plan d’action agroforesterie et zéro déforestation ». L’avenir nous dira s’il s’agit d’une nouvelle campagne de greenwashing ou si les progrès sont réels.
Reste le drame silencieux des enfants esclaves dans les plantation de cacao:
« En Côte d’Ivoire et au Ghana, 2,1 millions d’enfants travaillent dur dans les champs de cacao1. Dans certaines régions de Côte d’Ivoire, on a même constaté des cas d’esclavage infantile perpétré sur des enfants maliens et burkinabés vendus à certaines exploitations. Conscientes de ce problème, les grandes industries chocolatières ont promis, en 2001, qu’elles le résoudraient dans un délai de 5 ans. Mais 17 ans plus tard, force est de constater qu’à l’inverse le travail des enfants a encore augmenté. » – 5 Novembre 2018, OXFAM
Le travail des enfants dans le cacao est un secret de polichinelle et les mesures prises pour y remédier restent globalement inefficaces, tant la situation est complexe. Pourquoi? Principalement parce que la production intensive du cacao se distingue des autres monocultures par le fait qu’elle est la somme de centaines de milliers de micro-fermes, souvent très difficiles d’accès. Les contrôles sont donc particulièrement compliqués à effectuer. Histoire de limiter les dégâts, depuis 2005, Lindt s’approvisionne au Ghana, où la situation est un peu plus contrôlée qu’en Côte d’Ivoire, mais les dernières nouvelles ne sont pas rassurantes pour autant:
Début mai 2019, The Ghana Cocoa Board « COCOBOD » se disait très préoccupé par le nombre croissant de cas de travail des enfants dans les communautés productrices de cacao, une situation qui affecte l’éducation, la santé (notamment à cause d’une exposition permanente aux pesticides), la croissance et le développement des enfants dans ces régions.
Lindt écrit sur son site que 42’000 petits exploitants ghanéens lui fournissent l’or brun, c’est tout autant de fermes à contrôler régulièrement, un travail de titan. L’entreprise explique également avoir mis en place un système qui vise à « diminuer le risque de travail des enfants et les conditions de travail désastreuses »… sans pour autant les exclure.
Je vous vois venir: « Ouais mais Roger il a une fondation qui aide 300’000 enfants ». Évidemment c’est très grand de sa part, et c’est justement parce que ce n’est pas un sale type que les grosses entreprises adorent être associées à lui. D’un côté Federer permet à 300’000 enfants d’Afrique du Sud d’aller à l’école, mais de l’autre, il fait la promotion d’une industrie qui exploite 2,1 millions d’enfants en Afrique occidentale. On vous laisse méditer.
NetJets
C’est clair, on a du mal à imaginer Roger se balader en métro, mais est-ce une raison pour promouvoir le mode de transport le plus polluant au monde?
NetJets est une compagnie aérienne américaine qui propose de la propriété partagée et de la location de jets privés. C’est quoi le problème? NetJets, c’est 750 appareils, 46’000 vols annuels et plus de 15 millions de miles nautiques parcourus pour 2018 uniquement (27’780’000 km). Roger Federer, qui n’est en tout cas pas atteint de « flygskam », vend donc son image depuis 2004 pour promouvoir le transport quasi individuel et l’aviation en même temps. Ça serait pas un peu à contre courant ça?
Sunrise
Roger est aussi homme-sandwich pour Sunrise, compagnie de téléphonie Suisse qui dépense un budget de malade pour promouvoir la 5G, alors qu’on a rarement vu autant d’oppositions à une nouvelle technologie. Où est le problème? Il ne sera pas question ici de parler des dangers (réels ou non) des ondes sur les êtres vivants, mais de consommation.
La 5G, c’est amplifier encore la surconsommation qui nous étouffe. Bientôt, une tripotée de smartphones et tablettes devenus obsolètes seront remplacés par tout autant de nouveaux appareils.
La 5G permettra de surfer 40 fois plus rapidement que la 4G, ce qui mènera à consommer toujours plus de données et d’appareils connectés… dont une grande majorité de gadgets totalement inutiles. La 5G, c’est également encourager l’automatisation de certains emplois. Plus que ses prédécesseurs, c’est une transformation technologique profonde qui aura également des répercussions sociales et géopolitiques considérables.
La 5G, c’est encore réduire le droit à la vie privée. La reconnaissance faciale est déjà une réalité, elle sera une banalité. La Chine a déjà lancé les versions tests de son système de notation des citoyens. Comme après un séjour à l’hôtel ou un trajet en Uber, les chinois pourront mutuellement se donner des notes après une interaction. Les personnes qui auront une mauvaise moyenne pourront être punies, et par exemple, se voir refuser l’achat de billets de train ou d’avion pour une période pouvant aller jusqu’à 12 mois. Il ne faudra pas attendre trop longtemps pour que le modèle s’exporte chez nous.
Sunrise a joué un coup de maître en utilisant Federer comme bouclier. Un chic type comme lui qui se réjouit de voir arriver la 5G, ça ne peut pas être si désastreux!
Conclusion
Des contrats climaticides, Roger en a encore quelques uns dans sa housse (et on ne parle même pas de son partenariat avec Barilla dont le PDG est ouvertement homophobe) mais vous avez compris l’idée… et des vedettes qui monétisent avantageusement leur image, il y en des milliers, mais rares sont celles et ceux qui bénéficient d’une telle force de frappe.
Sauf qu’aujourd’hui, nous n’avons ni besoin de plus d’appareils connectés ni d’encouragements à la « fast fashion ». Nous n’avons pas besoin de stars qui font la promotion de la consommation, soutiennent la déforestation et cautionnent l’esclavage.
Non. Ce dont nous avons besoin, c’est d’influenceurs positifs, de personnalités qui mettent à profit leur popularité pour promouvoir un avenir durable et se battent pour une justice climatique. Nous avons besoin de figures qui se mettent au service de la biodiversité et montrent l’exemple.
Aujourd’hui, 26 mai 2019, alors que j’écris ces lignes, le journal Le Monde titre « Roland-Garros : Federer, « Dieu » de retour sur terre » après sa victoire au premier tour contre Lorenzo Sonego. Si le retour de Jésus doit annoncer l’Apocalypse, je vous laisse imaginer ce qui nous attend si c’est le paternel lui-même qui se déplace à Paris.
Leïla Rölli