« Février sans supermarché »: grande distribution, emploi, défi… remettons les pendules à l’heure!
1 emploi créé dans la grande distribution, c'est 3 à 5 qui disparaissent ailleurs
« Février sans supermarché » est un défi citoyen dont la popularité grandit d’année en année, et tous les ans, sceptiques et porte-paroles de supermarchés dégainent le même argument (bancal): « les supermarchés sont le plus gros employeur du pays! Ce défi menace des milliers d’emplois! », et ce, en Suisse, en France tant qu’en Belgique.
Pour commencer, soutenir les commerces indépendants, les artisan.e.s et petites exploitations agricoles, c’est soutenir directement des emplois et des familles qui dépendent parfois d’une petite dizaine de clients réguliers pour assurer leur survie. Les grandes surfaces, qui cherchent surtout à accroitre leur profit, ne voient pas de différence sur leur chiffre. Pour remettre les choses en perspective, en Suisse, sur 3,5 millions de ménages, on compte 10’000 membres inscrits au défi sur Facebook. Rien d’effrayant pour la grande distrib!
Ce n’est pas le défi qui met en péril l’emploi, mais bien la grande distribution elle-même, mastodontes de la vente en ligne compris. Pour le comprendre, il faut avoir une vision globale étalée dans le temps, et ne pas uniquement regarder la situation à l’heure actuelle. Explications.
En Suisse, 75 boulangeries disparaissent
chaque année. En France, c’est 1200.
Depuis son apparition, la grande distribution a joué et continue de tenir un rôle capital dans la disparition des commerces indépendants qui ne peuvent pas rivaliser en matière d’offre, de prix (bien que ce soit de moins en moins le cas) et de communication.
Un supermarché c’est, en un même endroit: une boucherie, une boulangerie, une pâtisserie, une laiterie-fromagerie, une droguerie, un kiosque, une quincaillerie-magasin de bricolage, un magasin d’habits-mercerie, un magasin de puériculture, d’électroménager, d’informatique, de téléphonie, un studio de développement photo, une librairie ou encore un fleuriste et donc tout autant de secteurs, de professionnel.le.s et d’artisan.e.s directement menacés par les supermarchés. Sans pitié, la grande distribution s’est approprié les spécialités, le savoir-faire et la clientèle de nombreux corps de métier.
En centralisant et en automatisant les processus de fabrication, en regroupant tous les produits dont on pourrait avoir besoin sous un même toit, on fait des économies d’échelle et de personnel. La chambre régionale du commerce et de l’industrie de la région Rhône-Alpes avait établi que les petits commerces traditionnels emploient 3,5 à 4,3 fois plus de personnel que la grande distribution à surfaces égales.
Résultat, les petits commerces indépendants se sont raréfiés, à tel point qu’on peut parler d’un réelle hécatombe. En France, 1 200 boulangeries disparaissent chaque année, concurrencées par les grandes enseignes. En Suisse, elles sont 75 à mettre la clé sous la porte, soit plus d’une par semaine.
Des villes clones
Pour préciser le propos, prenons l’exemple de la Grande-Bretagne décrite par Peter Wilby dans les colonnes de The Guardian en 2011, un schéma qui se produit partout sur la planète :
Dans tout le pays, les petits détaillants sont en train de disparaître. En Grande-Bretagne, on compte moins de 1000 poissonniers spécialisés, 7000 bouchers et 4000 épiceries, et à peine 3000 boulangeries indépendantes. Dans toutes ces catégories, le nombre de spécialistes a diminué de 90% depuis les années 50 et d’au moins 40% au cours de la dernière décennie seulement. Ils ont été chassés par les supermarchés, qui vendent maintenant 97% de notre nourriture, avec quatre chaînes représentant 76%.
À part le secteur de l’automobile, rien d’autre n’a changé de façon aussi radicale l’apparence et la texture de notre environnement au cours des cinquante dernières années – créant ce que la New Economics Foundation appelle « la ville clone de la Grande-Bretagne », où chaque grande rue a les mêmes magasins. […]
Une étude américaine révèle que chaque tranche de 100 dollars dépensée dans un magasin local génère 60% d’activité économique locale de plus que 100 dollars dépensés dans une grande chaîne de magasins.
Automatisation et
géants de l’e-commerce
Rappelons encore que si d’un côté ces géants de la vente multiplient et diversifient leurs magasins – on dénombre de plus en plus de supérettes de quartier appartenant à de grandes enseignes – de l’autre on voit apparaitre de plus en plus de caisses automatiques et les premiers magasins sans personnel.
En 2019, notre partenaire Mr Mondialisation expliquait qu’en France « 1875 postes ont été supprimés dans les hypermarchés en 6 ans. Le tout financé à coups de milliards par la collectivité. Sans aucune obligation ou contrepartie, des multinationales s’engraissent grâce au CICE lancé par Hollande sous l’impulsion d’un de ses principaux artisans : Emmanuel Macron qui était alors Ministre de l’Économie. »
Autre grave menace sur l’emploi: le commerce en ligne par les gros distributeurs. Des supermarchés qui se dédoublent sur les internets, ou des géants de l’e-commerce comme Amazon ou Zalando qui ne disposent pas de magasins physiques, pèsent autant sur les petits artisans que sur les supermarchés eux-mêmes.
Début 2020, la chaîne suisse Manor, qui accusait frontalement l’opération « Février sans supermarché » de nuire aux petits producteurs en les empêchant de collaborer avec les supermarchés (hahahaha, qu’est ce qu’il faut pas entendre!), annonçait procéder à une énième suppression d’emplois importante à cause de la concurrence écrasante de la vente online.
En achetant directement à la ferme, en passant par de petites épiceries ou AMAP, on ne paie pas forcément plus cher qu’en grande surface, mais on paie le prix juste aux producteurs, sans laisser la possibilité aux supermarchés de prendre une marge au passage.
Les paysan.ne.s, premières
victimes de la grande distribution
Mais la grande distribution fait aussi des ravages chez les agriculteurs et agricultrices. En Belgique comme ailleurs, les fermes familiales disparaissent au profit de plus grosses exploitations. 68% des fermes wallonnes ont disparu en 35 ans.
En Suisse, en 1996, il y avait encore près de 80’000 exploitations agricoles. En 2018, seulement 50’000. Pourtant la surface cultivée reste stable. La raison? Les fermes qui résistent sont les plus grosses et celles qui travaillent avec les chaines de supermarchés: en 20 ans, le nombre de domaines de plus 30 hectares a presque doublé, seul moyen de supporter la politique de prix excessivement basses imposées par la grande distribution.
Bien que les grandes enseignes multiplient les produits équitables, la détresse des agricultrices et agriculteurs reste préoccupante. Mais heureusement, ils sont de plus en plus à s’affranchir de la grande distribution et à fonder des « supermarchés » coopératifs pratiquant des prix justes.
Le problème principal du système dans lequel nous vivons est le besoin constant de croissance des grosses entreprises. Les supermarchés comme les multinationales ne peuvent se satisfaire de la stabilité et cherchent constamment à améliorer leurs bénéfices. Dans cette optique, elles ne peuvent concevoir de ne pas être omniprésentes et de s’attaquer sans cesse à de nouveaux marchés, créant toujours plus de besoins artificiels chez les consommatrices et consommateurs.
En achetant, nous votons pour le futur que nous souhaitons. Demandons nous toujours à qui revient l’argent que nous dépensons.
Leïla Rölli
Pour en savoir plus sur le défi et connaître tous les groupes Facebook régionaux pour s’entraider à se passer des supermarchés, c’est ici:
envertetcontretout.ch/4e-edition-du-defi-fevrier-sans-supermarche