Et si la Suisse interdisait les pesticides de synthèse ?

Leïla Weber décrypte pour nous les prochaines votations du 13 juin

Cette idée, encore abstraite il n’y a pas si longtemps, n’a aujourd’hui plus rien d’une utopie puisque la population suisse passera aux urnes le 13 juin prochain pour se prononcer sur l’épineuse question des pesticides de synthèse, qui divise beaucoup. En effet, si le Conseil fédéral et le Parlement jugent ces propositions trop strictes, les auteurs de l’initiative ainsi que de nombreux acteurs des milieux concernés en sont convaincus : la préservation de l’environnement et de la santé et l’avenir de la sécurité alimentaire reposent sur une agriculture durable.

Ce que propose l’initiative

En 2016, la Feuille fédérale publiait pour la première fois l’initiative populaire « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse », lancée par le comité de Future 3.0. Œuvrant pour une production agricole sans substances chimiques nocives pour la nature comme pour l’homme, l’initiative, ayant recueilli suffisamment de signatures, s’est frayée un chemin jusqu’aux urnes et sera prochainement soumise à la votation populaire.

Comme mentionné, le texte exige l’interdiction de l’usage des pesticides de synthèse dans la production et la transformation des aliments ainsi que sur les domaines privés et publics, comme les parcs et les jardins, et dans les produits d’entretien. Par ailleurs, il entend également faire proscrire toute importation de denrées alimentaires qui ne seraient pas soumises à ce même traitement. L’objectif premier de l’initiative est de protéger la santé et l’environnement ; il s’agit en effet de préserver nos sols, appauvris par l’utilisation de produits chimiques et l’agriculture intensive, de protéger la biodiversité et d’éviter que la toxicité de certaines de ces substances, dont la commercialisation a souffert jusqu’ici d’une homologation jugée trop laxiste, n’impacte la vie humaine, notamment de par leur caractère cancérigène.

Contre une « protection chimique des végétaux »

Dans l’agriculture comme dans les espaces verts privés ou publics, les produits phytosanitaires sont utilisés contre les organismes dits « nuisibles », comme certaines espèces de champignons, de mauvaises herbes et d’insectes, et contre certaines maladies qui envahissent et détruisent les cultures. Dans l’industrie alimentaire, ils sont principalement employés à des fins d’hygiène et de stockage. Le problème est qu’en usant de ces produits, on ne limite pas leur portée aux seuls nuisibles, mais on touche à un équilibre déjà fragilisé en impactant les sols, la nappe phréatique, les cours d’eau et certaines espèces d’animaux indispensables à la biodiversité.

Ce qui est reproché à l’initiative

Mais soumettre le territoire suisse et l’entier de ses importations à une interdiction totale des pesticides de synthèse paraît excessif aux yeux du Conseil fédéral et du Parlement, pour qui les précautions et les réglementations existantes sont suffisantes pour que les pesticides de synthèse ne nuisent ni à l’environnement, ni à la santé. Par ailleurs, une réduction de la productivité agricole et un accès limité à certaines denrées alimentaires importées suscitent de vives inquiétudes en termes de sécurité d’approvisionnement : avec l’adoption de telles normes, serons-nous en mesure de nourrir toute la population suisse ? Enfin, pour ces mêmes raisons, le Conseil fédéral et le Parlement craignent une augmentation du prix des denrées alimentaires, qui impacterait financièrement la population suisse et notamment les ménages à faibles revenus.

L’agriculture sans pesticides de synthèse dans les faits

Pourtant, à l’instar des initiants, beaucoup en sont convaincus : l’avenir de la sécurité alimentaire repose justement sur une agriculture durable. Or, et c’est également démontré, l’usage de pesticides de synthèse est mauvais pour l’agriculture durable, comme il l’est pour la biodiversité et la santé.

Il est néanmoins compréhensible que de telles mesures inquiètent une grande partie des agriculteurs, dont les méthodes de culture reposent depuis longtemps sur l’usage des produits phytosanitaires, qui leur permettent notamment de faire face aux lois exigeantes de l’offre et de la demande. D’aucuns le déplorent également durant cette campagne : en utilisant ces produits, la paysannerie suisse fait ici probablement aussi les frais de la mauvaise réputation dont jouissent à juste titre les grands groupes industriels spécialisés dans la chimie et la biotechnologie du domaine agricole, accusés de nombreux maux, aussi bien sanitaires qu’éthiques ou sociaux.

Toutefois, en Suisse, de nombreux acteurs ont déjà franchis le pas puisque la moitié des agriculteurs n’utilisent pas ou presque pas de pesticides de synthèse, pouvant ainsi bénéficier d’appellations telles qu’« IP-Suisse » ou « Bio Suisse », labels assurant une agriculture biologique dont l’engagement et les valeurs résident dans le respect de la nature, la durabilité, le bien-être animal et l’équité à travers une production 100% suisse et des circuits d’approvisionnement courts. Pour ce faire, les agriculteurs peuvent bénéficier d’aides de la Confédération, ainsi que l’indique l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) : « Un soutien financier est accordé aux exploitations qui renoncent à l’utilisation de produits phytosanitaires ou qui réduisent les quantités utilisées ».  Et l’OFAG de confirmer que « […] Le nombre d’exploitations bénéficiant de ce soutien est en constante augmentation ».

En outre, conscients que de tels changements ne peuvent se faire du jour au lendemain, les auteurs de l’initiative ont prévu une période transitoire de mise en œuvre de 10 ans durant laquelle, à titre exceptionnel, le recours aux pesticides de synthèse pourra encore être autorisé.

Plus d’infos sur: https://lebenstattgift.ch/fr

et https://pesticides-en-question.ch/

Leïla Weber

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