MENTION « DE SAISON »: ATTENTION!
Le grand naufrage de nos illusions.
Depuis le défi « mon février sans supermarché », il est rare que j’aille faire mes achats en grande-surface, mais pas totalement exclu. À chaque fois que j’y retourne, c’est l’occasion de me rappeler que la grande distribution vit dans un univers parallèle où un mot aussi basique que « saison » peut avoir une définition totalement différente de celle que nous connaissons.
La semaine dernière, c’est la Coop (une des principales chaînes de magasins suisses) que j’ai prise en flagrant délit d’ « alternative facts » avec un de ses produits estampillés d’une pastille de « saison ». Une mention qui peut déclencher la vente chez deux types d’acheteurs potentiels:
- le client soucieux de l’environnement qui choisit ses fruits et légumes en respectant le cycle naturel des cultures.
- le client « gourmand » qui se réjouit de consommer un produit exclusif, uniquement disponible pour une durée limitée.
Appartenant à ces deux catégories, mon regard a naturellement été aspiré par un petit jus orange-fraise « de saison » en pôle position au rayon frais. Curieuse, je consulte l’étiquette pour connaitre la provenance des ingrédients, mais seul un « fabriqué en Suisse » m’offre un élément de réponse… hélas, bien insuffisant. J’ai donc reposé le jus, le temps d’investiguer.
Cette année, en Suisse, le printemps à décidé d’abuser de la fonction « snooze » sur son radio-réveil. Et même si à côté des fraises espagnoles et françaises, quelques paniers de fruits du pays ont fait leur apparition, (vraisemblablement des baies cultivées sous serres), je trouvais un peu prématuré de venter l’actualité d’un smoothie orange-fraise alors que nos cultures sont en proie à des nuits glaciales qui flinguent tout espoir de récoltes heureuses.
J’ai donc contacté la Coop pour en avoir le cœur net. Les probabilités étaient assez faibles pour que les oranges soient zurichoises, mais j’espérais tout de même la présence de fraises indigènes, tout en suspectant un combo Maroc-Espagne. Naïve que je suis! J’étais loin d’imaginer à quel point j’étais à côté de la plaque. Voyez plutôt la réponse qui m’a été donnée par Kim de la Coopé:
« Bonjour Leïla, nous séparons l’année en quatre saisons: hiver, printemps, été et automne. Nous proposons des produits de saison lorsque ceux-ci poussent en plein air. Dans ce cas, les fraises proviennent de Pologne et le jus d’orange du brésil. Meilleures salutations, Kim »
Vous avez bien lu: fraises de Pologne et oranges du Brésil.
Et le kilomètre alimentaire?
Brésil-Pologne? Sur un terrain de foot, je veux bien, mais dans un jus de fruits suisse « de saison », c’est non.
Premier constat: la Coop réfléchit « saison » au sens premier du terme. Suivant cette logique, comme en Suisse, les fraises se récoltent entre fin mai (printemps) et fin août (été), la période commerciale s’étend donc sur deux saisons. On va pas chipoter, on arrondit à la moitié de l’année! Pratique.
Deuxième constat: pour l’enseigne, la saison débute lorsque les fruits poussent en plein air. Au Brésil, il y a deux saisons principales pour la récolte d’oranges: de juin à juillet et de décembre à janvier. Ce n’est donc pas la saison au Brésil, mais ça l’est en Espagne où la pleine saison s’achève en ce moment. On pourra donc toujours justifier que, comme la terre est ronde, c’est toujours la saison quelque part. Pratique bis.
Troisième constat: ce n’est pas parce que c’est « de saison » que l’impact écologique est réduit. La Pologne, deuxième producteur européen derrière l’Espagne, est le principal producteur de fraises transformées. Il n’est donc pas vraiment surprenant d’en trouver dans un jus « suisse », vu son prix très compétitif: en août 2016, le prix de la fraise polonaise se situait autour des 0.27€ / kilo.
Le problème? L’origine du fruit étant dissimulée, l’acheteur pense faire un achat écoresponsable en privilégiant un produit de saison, supposant un kilomètre alimentaire faible. C’est vrai ça! Pourquoi aller chercher un produit au bout du monde si c’est la saison dans ma région? Sans même prendre en compte les ingrédients autres que les deux fruits sus-mentionnés et en faisant abstraction de l’emballage, le kilomètre alimentaire du jus incriminé dépasse déjà 10’000km… à vol d’oiseau.
En choisissant des oranges marocaines et des fraises suisses, le kilomètre alimentaire sur ce produit diminue de plus de 75%. Mais évidemment, la marge du distributeur n’est sûrement pas la même.
Un consommateur informé et des enseignes responsables
Pas de bol pour la Coop, c’est dans un de ses magasins que l’esprit d’Elise Lucet a pris possession de mon corps, mais il apparait évident que des cas similaires usurpant la mention « de saison » se trouvent dans à peu près toutes les grandes surfaces. Soyez donc vigilants et renseignez-vous en cas de doute. C’est aussi en réalisant que les consommateurs sont de plus en plus exigeants sur la traçabilité d’un produit que la grande distribution fera l’effort d’adapter ses étiquetages. Fouinez, grattez, questionnez, vous avez le droit de savoir ce que vous consommez!
Il est primordial que le consommateur puisse bénéficier d’une transparence totale. Ici l’origine véritable des ingrédients n’est pas mentionnée et je suis prête à parier que nombreux sont ceux qui auraient reposé le produit en sachant que ses composants avaient autant voyagé.
Enfin, c’est aussi aux distributeurs de se raisonner et d’arrêter de faire de greenwashing à tout va. Lorsqu’on me propose un produit de saison, j’entends qu’il rime avec région, pas avec paquebot ni avion. Nous sommes tous dans le même bateau et si on ne tire pas tous sur la barre du même côté, le naufrage de l’Humanité risque d’être difficile à éviter.
Leïla Rölli