Théâtre: « Effondrons-nous », une pièce sur fond de fin du monde

Spectacle-conférence par la Cie Dédale intime.

« Deux conférenciers-experts ne viendront jamais exposer leur travail sur les ressorts d’un possible effondrement de notre société suite aux dégâts que le XXe siècle progressiste a engendré pour la planète. Les organisateurs devront alors prendre les choses en main et tenir la conférence avec leurs propres moyens. Ils tenteront d’exposer au public un bilan de l’existence de l’humanité ou du moins un compte rendu sociologique de notre civilisation, telle qu’on la connaît aujourd’hui et ce qui l’attend demain. Mais, bien-entendu, l’exposé en question prendra des allures bien plus farfelues et ingénues et proposera une vision plus «performative» et «surréaliste» de l’exercice. »

Rencontre avec Claire Nicolas et Simon Labarrière

auteur·e·s et comédien·ne·s

Image extraite du teaser / www.planfilms.ch / Dédale intime

Bonjour Claire et Simon,

​Pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous vous présenter en quelques mots :

Claire: Nous sommes tous les deux acteur et actrice professionnel·elle·s basés à Lausanne. L’un à 33 ans, l’autre 35. Pour ma part, mon parcours a commencé par l’Ecole de photo de Vevey, où j’ai appris le métier de photographe. Mais les arts vivants m’inspiraient déjà beaucoup à cette époque, et je me suis donc formée théâtralement aux classes préparatoires de Genève, avant d’être reçue ensuite aux Teintureries de Lausanne, où j’ai été diplômée. Depuis une dizaine d’années bientôt, j’ai plusieurs casquettes: je navigue entre contrats de comédienne, je touche aussi à la mise en scène et je gravite occasionnellement dans la sphère du cinéma. Avec Simon, on s’est rencontré en 2013 environ, au sortir d’un spectacle, où nos sensibilités se sont assez vite connectées.

Simon: Pour ma part, je suis originaire de Bordeaux et après deux ans sur Paris, j’ai intégré l’école de la Manufacture à Lausanne d’où je suis sorti en 2015.

 Teaser / www.planfilms.ch / Dédale intime

​Dans quelques jours aura lieu la grande première de votre spectacle-conférence «Effondrons-nous», un nom qui résonne particulièrement fort avec l’actualité et qui annonce d’emblée le sujet de la pièce. Dans quel cadre se place-t-elle ?

​C: notre projet est complètement relié à l’actualité récente. Il tend à rendre compte, c’est sûr, de ce qui nous attend dans un futur proche – ou du moins met en perspectives les possibles et les contraintes vers lesquelles notre société se dirige. De par les postures que nous utilisons dans le spectacle, nous sommes deux individus qui parlent avec leurs mots de ce qu’ils comprennent de ce grand “tout” qu’est l’effondrement. Nous avons donc travaillé avec le présent, tout en identifiant un avenir plus ou moins proche. L’idée d’utiliser la forme d’une conférence, que nous devons improviser pour cause de retard de nos deux invités-experts, nous a paru être une bonne entrée pour se permettre de parler d’un sujet délicat et vaste, mais néanmoins très riche en ce qu’il questionne sur notre manière de penser le futur.

S: C’est effectivement un sujet brûlant auquel aujourd’hui, même si chacun adopte sa posture, touche tout le monde et chacun à son échelle peut mesurer certains changements. Entre aujourd’hui et le début de notre travail en 2017,on observe d’ailleurs une large prise de conscience à travers ces problématiques de transition, de gestion des ses déchets, du questionnement de sa propre consommation, du réchauffement climatique, du comment mieux vivre ensemble de façon plus éco-responsable depuis le début de notre travail en 2017… Le sujet est évoqué au repas de famille, d’amis, au travail… L’actualité nous ramène à ça et on sent de plus en plus d’intérêt et de curiosité sur la question.

Image extraite du teaser / www.planfilms.ch / Dédale intime

À qui s’adresse cette pièce ?

C: L’aspect humain dans le spectacle est très ancré. Enfin, on a tenté de travailler dans ce sens-là pour éviter trop de didactique et aussi ne pas tomber dans des amalgames ou un effet “donneur de leçon”. Les deux protagonistes que nous interprétons sont obligés de déployer des moyens qui leur sont toujours singuliers (voir même qui les dépassent parfois) pour arriver à leur fin et transmettre le sujet de la conférence. Ils traversent quelques tempêtes, mais aussi des moments de joie, qu’on a traité avec le plus de sincérité possible. Nous nous sommes appuyé·ée beaucoup sur un côté décalé, comique et parfois saugrenu, ce qui rend le spectacle accessible et touchant. Dès 10 ans, il me semble qu’on peut comprendre les enjeux et s’y retrouver, car nous vulgarisons plus que nous n’expliquons.

S :En effet, on pose davantage de questions qu’on y répond et on donne à voir et à entendre deux sensibilités, deux visions du monde différentes mais qui se valent autant l’une et l’autre. Chacun·une pourra s’identifier. Ces deux personnages expriment leur doutes, leur rêves, leurs peurs … tout ça de la façon la plus généreuse et authentique qui soit. Ils ne peuvent pas tricher face à cette question et dans le cadre qui leur est imposé. Pendant le spectacle, ils vivent eux-même leur effondrement et notre plaisir a été de voir quelles solutions et façons de réagir étaient les leurs. Ces deux personnages me paraissent touchants, car profondément humains et sincères.

Image extraite du teaser / www.planfilms.ch / Dédale intime

Cette œuvre se base sur les travaux du biologiste de l’évolution et physiologiste Jared Diamond et des chercheurs Pablo Servigne et Raphaël Stevens. Comment l’envie de créer un spectacle qui parle de crise climatique et de collapsologie vous est venue et pourquoi vous est-t-il paru important d’y intégrer les recherches de ces scientifiques ?

​C: De mon point du vue, et je crois que Simon me rejoint là-dessus, il me semble difficile aujourd’hui de nier ce qu’il se passe dans le monde, que ce soit à une échelle locale ou internationale. Je crois que tout est connecté et donc les actes que je fais, conscients ou inconscients, ou l’attitude pour laquelle j’opte, ont des conséquences heureuses ou malheureuses sur ce qu’il se passe. Dès le moment où je fais ce constat-là, il y a une vision à 360 degrés qui se place et en tant qu’individu j’ai donc commencé à être attentive et sensible à cette question. Et comme je suis une artiste qui vit avec son temps, ce qui m’importe en tant que personne, a tendance à m’inspirer en tant qu’artiste, d’où l’envie commune avec Simon, d’en faire un spectacle. Quand on se plonge dans la notion de collapsologie, on constate assez vite, qu’un de ces “moteurs de pensée” est d’aller dans la créativité en se permettant d’inventer un futur, pour ne pas juste “survivre”, mais vivre cet effondrement avec tout ce qui est possible d’être traversé, comme l’explique notamment un des ouvrages de Pablo Servigne, Raphael Stevens, mais aussi Gauthier Chappelle. Chacun d’eux, tout comme Jared Diamond ou encore d’autres personnalités, sont des chercheurs qui appartiennent à un mouvement de pensée qui, pour notre spectacle, est porteur de sens et de cohérence, autant d’un point de vue scientifique que philosophique, pour parler du fonctionnement de notre société – et en parler sous un angle inspirant, plutôt que tristounet.

S: C’est un sujet qui me suit depuis un moment et les ouvrages de ces collapsologues m’ont donné quelques pistes de réflexions pour aller plus loin, pour faire aussi un certain travail sur moi. La situation dans le Monde actuellement me touche voire m’affecte et ça commençait à prendre beaucoup de place dans mon quotidien sans que je puisse avancer réellement. C’était devenu anxiogène et j’ai obtenu quelques clés grâce à ces livres pour ne pas totalement sombrer dans le “No hope” et pour pouvoir rêver à d’autres suites et issues possibles, c’est même devenu récréatif et plaisant. Nombreuses questions subsistent encore pour moi et pour nous: des doutes, des craintes, des envies contradictoires, un sentiment d’impuissance parfois et de colère, car j’ai le sentiment que l’être humain a du mal à retenir certaines leçons du passé et fonctionne en cycle peu vertueux, mais je suis quand même plus serein par rapport à tout ça. C’est la raison pour laquelle j’avais envie de faire découvrir la collapsologie à d’autres et de traiter ces questions profondes avec douceur et avec un certain humour, en m’appuyant sur ces ouvrages qui m’ont personnellement grandement aidé pour avancer.

L’effondrement a des répercussions énormes et touche l’ensemble du vivant. Sans trop en dévoiler, quelles sont les thématiques principales que vous abordez dans la pièce ?

​C: En effet, ça touche l’ensemble du vivant. Et c’est, ma foi, bien de ça dont il s’agit dans le spectacle. Il était difficile de se focaliser uniquement sur certains sujets. Et si on le faisait, ça nous rendait soit trop expert, soit trop moralisateur, ce qui ne rendait pas service à notre démarche. Le grand thème reste la collapsologie, dans laquelle on retrouve toutes les problématiques actuelles de notre monde. Mais sans trop en dire, disons qu’on crée des liens entre ce qui nous rend impuissant face à des catastrophes et ce qui nous touche dans notre vie au quotidien, à notre échelle, dans notre manière de consommer nos ressources et de co-habiter la Terre.

De manière plus générale, à votre avis, quel rôle tient la culture dans cette crise climatique ?

​C: Pour revenir à ce que je disais plus haut, je crois qu’un sujet (quel qu’il soit) peut inspirer l’art. Face à cette urgence climatique, si on prend donc cet exemple, la culture n’a pas juste un rôle en soi, elle est un canal d’expression. Depuis-là, tout est dit. Son rôle est à mon sens majeur. Un sujet peut donner lieu à une idée, qui peut donner lieu à une impulsion créative et matérialiser ensuite une oeuvre. De tout temps, les artistes ont raconté (ou dénoncé) une époque ou leur propre époque. Donc oui, si par exemple, le sujet part d’un point de vue scientifique, celui-ci peut s’exprimer ou s’exprimera par le prisme culturel. C’est ce qui a de tout temps fasciné l’humain – à chaque fois qui lui est arrivé quelque chose ou qu’il a découvert quelque chose, il a eu besoin de l’exprimer par un biais artistique. On pourrait en citer une pléthore: du tableau “Les Ambassadeurs” de Hans Holbein le Jeune en 1533, qui raconte le virage de notre vision du monde, suite à la découverte du Nouveau-Monde, au tableau “Guernica” de Picasso qui dénonce la guerre d’Espagne ou de la pièce Richard III de Shakespeare qui met en valeur la cruauté et les souffrance d’un homme sur fond de Guerre des Deux-Roses, en passant par les films de Ken Loach, qui narrent les stigmates de notre société du XXIème siècle.

S: Je crois qu’on a besoin de rêver encore plus aujourd’hui qu’hier, de se retrouver et de rêver ensemble, de communiquer et de rire tout en étant très lucide sur tout ça. Mon envie est de générer un mouvement qui dépasse le spectacle en espérant que chacun puisse repartir avec une idée, une sensation qui cheminerait avec lui, un moment dont il voudrait parler et partager à son tour… Créer du lien autour de ces problématiques et ne pas se retrouver seul face à tout ça.

​Y aura-t-il d’autres représentations, peut-être dans d’autres villes, qui feront suite aux dates de janvier ?

S: Oui en effet! Nous aurons l’occasion de jouer en mars prochain. Le 14 mars au Café du Soleil à Saignelégier dans le Jura et le 21 mars à l’Espace Johannis à Chamoson.

C: et on s’en réjouit!

EFFONDRONS-NOUS

Du 22 au 26 janvier 2020
Me-je-ve 20h | Sa 19h | Di 17h30

Oriental-Vevey – Rue d’Italie 22, CH-1800 Vevey

Spectacle conférence par la Cie Dédale intime
Écriture et jeu: Simon Labarrière | Claire Nicolas

Collaboration artistique: Sandro De Feo – Accompagnement technique: Nidea Henriques