Décryptage: le pinkwashing par Coca-Cola
Marius, entrepreneur et activiste, dénonce le démarchage de Coca
Comme vous le savez peut-être, le 9 février prochain la population suisse sera amenée à se prononcer sur trois sujets, dont l’un porte sur l’extension de la norme pénale anti-raciste afin qu’elle couvre les appels à la haine/dénigrements envers les lesbiennes, gays et bisexuel.le.s.
Oui mais pourquoi aborder un tel sujet sur En Vert Et Contre Tout, site internet dédié à la sensibilisation à des thématiques écologiques ?
Eh bien, la convergence des luttes est à mon avis hautement nécessaire, mais outre cela, on dénonce aujourd’hui une pratique quelque peu douteuse de la part d’une multinationale d’ores et déjà adepte du greenwashing, j’ai nommé : Coca-Cola.
En effet, Marius, étudiant en études de genre, prof de yoga et instagrameur suisse, reconnu pour son contenu défendant la communauté LGBTIQ+, nous a transmis cet e-mail reçu par la multinationale :
Cet e-mail met en avant le fait que Coca-Cola aurait joué un rôle actif dans la société suisse depuis son implantation dans le pays et qu’elle défend une société ouverte, plurielle, moderne et exempte de discriminations.
La multinationale rappelle qu’en février 2020, le peuple suisse aura à se prononcer sur l’extension de la norme pénale anti-raciste à l’orientation sexuelle. Elle indique vouloir « diffuser un message pour une société ouverte, moderne et diversifié de manière encore plus forte en 2020 » et avoir rédigé un manifeste montrant son engagement dans ce que la Suisse soutient : « Vivre ensemble, de manière pacifique, dans la diversité et l’unité ».
Par son e-mail, la reine des boissons sucrées dit rechercher des personnes partageant ces croyances et qui souhaiteraient partager ce message avec elle. Cela consiste à poster 1 ou 2 postes sur ses réseaux sociaux début 2020 avec le manifeste de Coca trois semaines avant le vote.
Ce qu’en pense Marius
N’étant pas des pros de ce domaine, nous avons posé quelques questions à Marius (le destinataire de ce message), afin qu’il nous fasse part de son ressenti :
Merci Marius de nous avoir envoyé cet e-mail que tu as reçu, quelle a été ta première réaction en en prenant connaissance ?
Marius : Le premier mot qui m’est venu à l’esprit est « pinkwashing ». En tant qu’étudiant en master d’études genre, c’est une pratique à laquelle nous sommes beaucoup exposés et qui prend des formes parfois si complexes que j’ai d’abord questionné sa potentielle présence dans une telle démarche. Et j’ai très vite établi que oui, on y faisait bien face ici. Bien sûr que j’ai également pensé à la question financière soulevée par le sujet, parce que ce genre de campagne est accompagnée de financement fort généreux. Et enfin, j’ai été très vite dégouté par le fait que les entreprises arrivent même à aller jusqu’à instrumentaliser le passage de loi et l’établissement d’une société juridiquement plus sûre, tolérante et ouverte à la diversité.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur le pinkwashing ?
Marius : Selon ce que j’ai eu l’opportunité de voir et d’analyser, le pinkwashing est une pratique qui se veut progressiste et qui, sous couvert d’une grande tolérance et ouverture d’esprit, cache une instrumentalisation des idées féministes et queer. Afin d’illustrer de la meilleure façon le pinkwashing et ce en quoi il consiste (de manière extrême), voici un exemple concret.
Selon Jean Stern, auteur d’une enquête sociologique Mirage Gay à Tel Aviv, ce sont les films de propagande israélienne des années 1950, valorisant « le Juif musclé » et les grands gars costauds, qui ont poussé le Tsahal – Israel Defence Forces – à s’afficher gay-friendly (Stern, 2017, p.11). Pour un pays qui est en guerre depuis 1948, ce genre de publicité lui offre une dorure brillante et une économie florissante. En effet, toujours selon Stern (2017), Israël apparait comme un véritable « modèle » de domination pour les homosexuel.le.s occidentaux.ales, les islamophobes et les réactionnaires, ce qui est une arme politico-économique importante pour le gouvernement de droite. Alors que sa popularité, autour des années 2010, était à peine supérieure à celle de la Corée du Nord, mythifier un Tel Aviv moderne et gay-friendly est une stratégie marketing en or, ce que Stern et quelques autres avant lui appellent ainsi pinkwashing – une tentative de peindre ce plafond de verre en rose (Stern, 2017). Ce type de politique apporte des retours sur investissements énormes puisque ce sont les municipalités, les hôtels, le ministère du Tourisme, les clubs et toutes les autres parties qui rentrent dans l’équation économique du voyage gay à Tel Aviv qui s’en remplissent les poches.
Une technique marketing ne tombant pas directement dans le pinkwashing (mais y étant quelque peu liée) serait de créer des produits qui attireraient spécifiquement la communauté LGBTIQ+ ou de lancer une campagne spécifique au mois de juin (le mois des « pride ») en reversant des bénéfices à une association LGBTIQ+. Ceci est un acte progressiste mais reste intéressé, surtout venant de grosses entreprises qui poussent généralement à la consommation et qui ont fortement à gagner à embrasser la cause LGBTIQ+.
Et finalement, quelle a été ta décision ? Et qu’est-ce qui l’a motivée ?
Marius : Je n’ai bien sûr pas hésité de refuser, sans même répondre. Les seules choses qui ont motivé ma décision sont mes valeurs et mon éthique. Bien que, comme dit auparavant, les retombées économiques pour moi sont relativement grandes, je ne pourrais plus me regarder dans un miroir si je soutenais ce genre de campagne, spécialement en tant qu’activiste, au-delà de mon travail d’entrepreneur. Et puis bien sûr, ce genre d’entreprises de relations publiques reste à questionner : les personnes qui y travaillent ne sélectionnent pas du tout les profils pour leur engagement (i.e. leur combat) mais plutôt selon la « couleur » de leur présence médiatique, leur apparence, le type de personnes qui les suivent, etc. L’importance du message ainsi que sa profondeur ne les intéressent pas réellement. C’est en somme de l’instrumentalisation de personnes et de leur image pour des causes qui se disent progressistes mais ne sont en réalité que d’affreuses tentatives de manipulation.
*Fin de l’interview*
Nous remercions infiniment Marius pour ses réponses et son envoi ! L’on peut remarquer que l’on fait ici bien face à du Pinkwashing pur et dur, soit le fait pour une entreprise de se donner une image progressiste en faveur de la communauté LGBTIQ+, ceci afin de redorer sa marque et donc, de vendre plus.
Photo: ©Marius – Instagram
Oui mais ça part peut-être d’une bonne intention, non ?
Coca-Cola, c’est quand même LA (ou en tout cas UNE des) marque aux pratiques environnementales et sociales désastreuses :
- Avec la production de 3 millions de tonnes de plastique par an, elle est l’entreprise agro-alimentaire produisant le plus de déchets plastique, bien au-dessus de Nestlé et Danone.
En effet, avec 180 milliards de bouteilles plastique par année, soit 200’000 à la minute, on a la une championne en la matière.
- Un courrier interne avait fuité il y a quelques temps, dans lequel l’entreprise exprimait sa volonté de lutter contre toutes les réglementations européennes qui viseraient à augmenter le taux de collecte et de recyclage. La firme y déclarait également s’opposer fermement à tout programme de mise en place de la consigne.
On voit clairement là une volonté affirmée d’avoir un impact sur la politique à l’échelle nationale, voire supranationale. En Suisse, ceci se traduit par la présence du lobby des « boissons rafraîchissantes » – qui pourrait être renommé « des boissons sucrées » histoire d’être un peu plus véridique – au Parlement.
- Il n’existe toutefois pas que la problématique des déchets, puisque Coca-Cola pille des réserves d’eau partout dans le monde et privatise ou achète des sources qui devraient revenir aux populations.
- La consommation d’eau de Coca-Cola est estimée à plus de 300 milliards de litres par an, dont 40% sont utilisés pour la production de boissons et les 60% restants lors du processus de fabrication du soda.
- Pour la fabrication de ses sodas vendus en Amérique du Nord, la multinationale puise dans la nappe phréatique de San Cristobal. Coca-Cola paie pour pouvoir prélever 750’000 litres par jour, ce qui entraîne une raréfaction, ainsi que parfois des coupures d’eau.
- Les locaux doivent alors boire autre chose, cela peut être de l’eau de pluie quand c’est possible, ou alors ils finissent par se désaltérer avec du Coca-Cola, une belle absurdité et technique de vente…
La population Mexicaine est d’ailleurs devenue dans son ensemble la plus grosse consommatrice de Coca-Cola du monde, avec 225 litres par personne par an.
©Wikistrike (2018) Pollution des océans : Coca-Cola pollue l’équivalent d’une benne à ordure chaque minute
C’est une très bonne chose que de souhaiter sensibiliser la population à un sujet politique, mais faire appel à des personnes pour promouvoir un manifeste en faveur de la communauté LGBTIQ+ élaboré par sa propre marque, c’est très clairement du pinkwashing, tel que Nike l’a d’ores et déjà pratiqué. Et lorsque l’on est une marque du genre de Coca-Cola, dont les pratiques environnementales et sociales sont pour le moins critiquables, utiliser ce genre de procédés pour tenter de redorer son blason passe pour de l’opportunisme pur et dur.
A bientôt pour un nouvel article et n’oubliez pas de voter le 9 février prochain en faveur d’une meilleure protection face aux discriminations (sans que Coca-Cola ait besoin de vous convaincre de manière sournoise !)